Me
voilà au côté de cette ouvrière. Dame d’âge mûr, au visage marqué par le temps.
Visage
rond, rempli de patience, mais d’exigences.
Une
exigence pour un travail bien fait.
À
travers ses doigts, meurtris par ses gestes répétitifs, ces fils multicolores
circulent au rythme de la machine.
Cadencée
par des clics, des clacs, des taps, et des swings, cette main file, passe,
bloque, coupe.
Ce
fil s’entremêle, se transforme et donne cette belle Levantine.
Devant
cette mutation, les bruits de l’atelier se font discrets.
Admirative
devant la grâce de cette ouvrière, j’apprécie et j’envie sa sérénité, sa
dextérité, sa créativité.
De
ses mains rugueuses, difformes, nait une œuvre qui réchauffe tout mon être.
J’imagine
cette étoffe qui ensoleille la chevelure folle d’une fillette.
Ou
encore éclaire la beauté de cette métisse des îles chaudes du pacifique.
Pragmatique
et consciencieuse, cette ouvrière me ramène à la réalité.
Soucieuse
de mon apprentissage, elle m’incite à m’essayer.
Je
doute face à son savoir, face à l’immensité de la tâche.
Son
invitation à produire ces gestes me paralyse.
Consciente
de ma peur, elle me rassure avec ses mots pleins de sagesses.
Soulagée,
de ma main fébrile, je saisis les fils.
Mais
là, tout va vite, la panique m’envahit.
Mais
cette main du savoir vient à ma rescousse et m’accompagne.
Devant
moi, ma création prend forme avec toutes ses imperfections.
Ravies
sans être satisfaite je découvre mes capacités.
D’un
coup retentit la sonnerie de fin de journée. Les machines s’arrêtent, s’en suit
le brouhaha des ouvrières, pour laisser place au silence de l’atelier.
J’imagine,
derrière ces portes closes, le murmure d’une mélodie qui clôture le travail des
passementières.
Isabelle THEROND